Le Tchad, pays sahélien aux vastes potentialités, est à un carrefour crucial de son développement économique. Longtemps dépendante de ses ressources pétrolières, son économie aspire à une diversification structurelle capable de générer une richesse plus inclusive et résiliente. Comment l’État tchadien peut stratégiquement renforcer son tissu entrepreneurial local, en s’appuyant sur les leçons du passé et les opportunités du présent, pour bâtir une prospérité durable.
Au cœur des ambitions du Tchad se trouve le soutien aux entreprises locales, véritables piliers de la création d’emplois, de la valeur ajoutée et de la souveraineté économique. Cependant, ce soutien doit s’articuler avec les réalités d’une mondialisation omniprésente et les conséquences, parfois ambivalentes, des investissements directs étrangers (IDE).
Une Économie encore Dominée par les Hydrocarbures : Réalités et Limites
L’économie tchadienne est intrinsèquement liée à la production pétrolière, qui représente une part prépondérante du PIB et des recettes d’exportation. Cette dépendance, si elle a généré d’importants revenus, a également exposé le pays à la volatilité des cours mondiaux du brut, entraînant des cycles de boom et de récession qui freinent la planification à long terme. La rente pétrolière, souvent concentrée dans des industries extractives à faible intégration locale, n’a pas toujours permis un effet d’entraînement suffisant sur le reste de l’économie. Les résultats actuels montrent une insuffisance de la diversification, laissant d’autres secteurs clés, comme l’agriculture, l’élevage et les services, sous-exploités ou informels.
Les Entreprises Locales : Moteurs Incontournables de la Création de Richesse Inclusive
Au-delà des grands projets d’infrastructures et de l’extraction, ce sont les petites et moyennes entreprises (PME), les très petites entreprises (TPE) et les initiatives individuelles qui constituent le véritable socle de l’économie tchadienne. Elles sont les principaux créateurs d’emplois (formels et informels), contribuent à la distribution des revenus, satisfont les besoins locaux et favorisent l’émergence d’une classe moyenne. La richesse qu’elles génèrent est souvent réinvestie localement, créant un cercle vertueux de consommation et de production domestique, contrairement aux profits des grandes multinationales souvent rapatriés. Leur développement est donc vital pour une croissance équitable et durable.
Résultats Actuels et Défis Structurels des Entrepreneurs Tchadiens
Les entreprises locales au Tchad opèrent dans un environnement difficile. Les résultats actuels révèlent des obstacles majeurs :Accès au financement : C’est le défi le plus criant. Les banques locales se montrent frileuses à prêter aux PME/TPE en raison de garanties insuffisantes et de risques perçus comme élevés, les taux d’intérêt sont dissuasifs. Compétences et formation : Un manque de main-d’œuvre qualifiée dans certains domaines techniques et managériaux limite la productivité et l’innovation. Environnement des affaires : La lourdeur administrative, la complexité des procédures de création et de gestion d’entreprise, ainsi que les problèmes de gouvernance (corruption, instabilité réglementaire) découragent l’investissement local. Infrastructures : Le déficit en infrastructures essentielles (électricité fiable et abordable, réseaux de transport, accès internet) alourdit les coûts de production et réduit la compétitive. Informalité Une grande partie de l’activité économique reste dans le secteur informel, limitant l’accès au financement formel, à la protection sociale et à l’expansion.
Impact des Investissements Directs Étrangers (IDE) : Entre Opportunités et Conséquences pour l’Économie Locale
Les IDE sont souvent présentés comme des catalyseurs de développement. Au Tchad, leur influence est notable, mais leur impact sur les entreprises locales est à double tranchant. Les IDE ont joué et continuent de jouer un rôle essentiel dans le développement d’infrastructures majeures et de secteurs clés. Dans le secteur pétrolier, ils ont apporté le capital, l’expertise technologique et les compétences managériales indispensables à l’exploitation des ressources. Au-delà du pétrole, les IDE peuvent potentiellement : Apporter des capitaux : Combler le déficit d’investissement domestique. Transférer des technologies et du savoir-faire : Introduire de nouvelles méthodes de production et de gestion. Créer des emplois : Souvent pour une main-d’œuvre qualifiée, mais aussi pour des postes moins spécialisés. Améliorer la balance des paiements : Par les exportations générées. Accroître les recettes fiscales : Par les impôts et royalties versés à l’État. Ces bénéfices sont réels et nécessaires, notamment dans les secteurs à forte intensité capitalistique.
Les Conséquences Négatives et les Défis pour les Entreprises Locales
Cependant, l’expérience tchadienne, comme celle de nombreux pays en développement, montre que les IDE peuvent aussi générer des effets pervers s’ils ne sont pas encadrés par des politiques volontaristes : Concurrence déloyale : Les multinationales bénéficient souvent d’avantages compétitifs massifs (accès au financement à moindre coût, technologies avancées, pouvoir de négociation), rendant difficile la concurrence pour les entreprises locales, même sur leur propre marché.
Effet d’éviction
DANS certains secteurs, l’arrivée d’un grand investisseur étranger peut évincer les acteurs locaux plus fragiles. Les IDE, en particulier dans l’extractif, peuvent opérer comme des « enclaves économiques », avec des chaînes d’approvisionnement mondiales et un faible recours aux fournisseurs locaux, limitant les effets d’entraînement. Les bénéfices sont alors rapatriés, et la valeur ajoutée reste limitée sur le territoire. Plutôt qu’un transfert profond, on observe parfois une dépendance continue vis-à-vis de l’expertise étrangère, freinant l’émergence d’une ingénierie et d’une recherche développement locales. Certains projets d’IDE peuvent avoir des conséquences négatives (déplacement de populations, pollution), qui indirectement affectent le tissu socio-économique local et la résilience des communautés.
Stratégies de soutien et de création
L’État Tchadien pour Soutenir les Entreprises Locales et Créer une Richesse Durable . Face à ces enjeux, l’État tchadien dispose de leviers stratégiques pour orchestrer un développement économique où les entreprises locales sont de véritables moteurs de création de richesse, en synergie avec des IDE mieux encadrés. Améliorer l’Environnement des Affaires et Faciliter l’Accès au Financement.
Simplifier drastiquement les procédures de création, de gestion et de liquidation d’entreprises. Réduire les délais, dématérialiser les démarches, et assurer une stabilité réglementaire et fiscale pour rassurer les investisseurs locaux. La lutte contre la corruption doit rester une priorité absolue pour restaurer la confiance.
Créer des fonds de garantie dédiés aux PME/PMI, développer des lignes de crédit bonifiées auprès des banques commerciales, et renforcer le capital des institutions de microfinance pour les très petites entreprises et les femmes entrepreneures. Mettre en place des mécanismes d’accompagnement pour la préparation de dossiers de financement bancaire.
Renforcer les Compétences et l’Innovation Locale
Le capital humain est la ressource la plus précieuse. Aligner les programmes de formation technique et professionnelle sur les besoins réels du marché du travail (agriculture, élevage, artisanat, services, numérique). Soutenir l’apprentissage et les centres de formation privés. Créer des incubateurs d’entreprises, des pépinières et des centres d’appui-conseil offrant un accompagnement technique, managérial et juridique aux jeunes entrepreneurs et aux PME en croissance. Mettre en place des mécanismes de soutien à la recherche-développement locale et à l’innovation, notamment dans les secteurs de l’agro-industrie, des énergies renouvelables et du numérique.
Encadrer les IDE pour Favoriser l’Intégration Locale
Il ne s’agit pas de rejeter les IDE, mais de les orienter vers un partenariat gagnant-gagnant. Politiques de contenu local (Local Content) : Imposer, par la loi ou par incitation fiscale, que les grandes entreprises étrangères (notamment dans l’extractif et les grands projets d’infrastructures) s’approvisionnent prioritairement auprès des entreprises locales pour leurs biens et services non spécialisés. Cela implique aussi des programmes de renforcement des capacités des fournisseurs locaux.
Transfert de technologie et de savoir-faire : Intégrer des clauses obligatoires de transfert de technologie et de formation des cadres locaux dans les contrats d’investissement, assurant un véritable partage de compétences.
Partenariats et co-entreprises : Encourager, voire exiger pour certains secteurs, la création de joint-ventures (co-entreprises) entre investisseurs étrangers et entreprises locales.
Accès aux Marchés et Promotion des Produits Locaux
Les entreprises locales ont besoin de débouchés. Instaurer une politique de préférence nationale pour les marchés publics, en favorisant les entreprises locales (avec des critères clairs de qualité et de prix), pour stimuler la demande interne. Soutenir la participation des entreprises tchadiennes aux salons nationaux et internationaux, faciliter l’obtention de certifications de qualité et développer des labels « Made in Chad ». Développement d’infrastructures stratégiques : Poursuivre les investissements dans les infrastructures de transport (routes, corridors économiques), d’énergie (accès à l’électricité fiable et abordable) et de communication (fibre optique, internet haut débit), car elles réduisent les coûts de production et augmentent la compétitivité.
Diversification Économique Ciblée et Secteurs Porteurs
L’État doit identifier et soutenir activement les secteurs à fort potentiel de création de richesse locale. La Modernisation, transformation agro-industrielle (valorisation des produits locaux comme la gomme arabique, le coton, les dattes, la viande) pour créer plus de valeur ajoutée sur place. Développer le tourisme local (patrimoine naturel et culturel), les services financiers, le numérique et les technologies de l’information.
Le potentiel solaire est immense et peut être exploité par des PME pour l’électrification rurale. Le soutien aux entreprises locales au Tchad n’est pas qu’une simple option politique ; c’est une stratégie impérative pour transformer une croissance dépendante des matières premières en un développement inclusif et durable. Les résultats actuels de l’économie tchadienne, marqués par une forte dépendance au pétrole et des fragilités structurelles des PME, couplés aux conséquences ambivalentes des IDE, appellent à une intervention étatique plus proactive et plus fine. En améliorant l’environnement des affaires, en facilitant l’accès au financement et aux compétences, en encadrant les IDE pour maximiser leurs retombées locales, et en ciblant la diversification économique, l’État tchadien peut catalyser l’émergence d’un tissu entrepreneurial robuste. C’est à ce prix que la richesse créée sera non seulement plus abondante, mais aussi plus équitablement partagée et résiliente face aux chocs extérieurs, posant les jalons d’une véritable autonomie économique et d’un développement endogène.
Brahim Oudah Haroun